Les correspondances d'écrivains (Séminaire Cergy-Pontoise)
http://www.fabula.org/actualites/seminaire-les-correspondances-d-ecrivains_69354.php
Séminaire du laboratoire Lexiques Dictionnaires Informatique :
Les correspondances d’écrivains
Après avoir exploré les rapports des écrivains à deux lieux
emblématiques
de l’art et du patrimoine (avec les séminaires Quand les écrivains
font leur musée en 2011-2012 et Bibliothèques d’écrivains en 2013-
2014), les chercheurs en littérature du laboratoire Lexiques,
Dictionnaires, Informatique organisent à partir de 2015 un séminaire
sur les correspondances d’écrivains. Ce séminaire s’inscrit dans le
projet « Poétique de l’archive » (Université de Cergy-Pontoise,
Université Paris III – Sorbonne Nouvelle, Université Catholique de
Louvain-la-Neuve), consacré à l’exploitation scientifique des archives
littéraires, à l’étude de leur rôle culturel et patrimonial, et à l’analyse
de leur fonction dans la création littéraire. Abordées à partir de leur
matérialité, les correspondances d’écrivains possèdent un double
statut : d’une part elles constituent des archives dont les processus
de patrimonialisation sont complexes, de l’autre elles peuvent
acquérir une dimension littéraire en permettant d’entrer dans
l’univers d’un écrivain par la périphérie de son œuvre.
Les correspondances d’écrivains présentent de multiples enjeux
qu’on peut regrouper autour de trois axes :
1. De la conservation à l’édition : une archive à construire
D’un point de vue matériel, les correspondances d’écrivains
constituent un patrimoine dont la collecte et la conservation
(dans des fonds publics comme privés) se heurtent à des
problèmes de dispersion voire de disparition. Le premier
archivage est quelquefois le fait des destinateurs eux-mêmes
(comme Barbey d’Aurevilly ou Marguerite Yourcenar, qui gardent
une copie des lettres qu’ils envoient), et les destinataires jouent
évidemment ici un rôle important (les fonds d’écrivains sont riches
en lettres reçues).
Cette conservation par les particuliers ou les institutions peut
déboucher sur un processus de diffusion. Les correspondances
d’écrivains sont ainsi souvent des gisements d’inédits dont la
publication se heurte à des difficultés concrètes (dispersion
des destinataires, questions légales de protection du secret
de la correspondance privée) et suppose des choix éditoriaux
forts : faut-il éditer la correspondance croisée ou seule la
correspondance active ? une correspondance classée par
destinataire (Flaubert, Lettres à Louise Colet, Lettres à sa
nièce Caroline), par thème (Flaubert, Lettres d’Égypte, Lettres
d’Orient) ou bien une correspondance générale (Flaubert,
édition de la Pléiade) ?
Dans cette perspective, on peut être attentif aux nouvelles
possibilités qu’offre l’ère du numérique en matière de
conservation (numérisation des fonds) comme de publication,
(alternative à l’édition papier). La question se pose par exemple
pour l’édition de la correspondance d’André Breton, chantier en
cours. Le format numérique permet de pallier certaines limites
de l’édition traditionnelle en facilitant l’exhaustion comme la
consultation et en offrant une lecture par liens permettant
notamment la présentation des documents manuscrits.
L’impératif de sélection et de volume est alors levé – ce qui
pose d’autres problèmes, liés en particulier à la quantité et
à l’indifférenciation des lettres.
2. De la lettre à l’œuvre : un laboratoire génétique, générique
et linguistique
D’un point de vue génétique, la correspondance offre un
éclairage sur la gestation de l’œuvre. Ses enseignements
ont d’ailleurs été les premiers outils exploités par la critique
génétique. On distingue la dimension exogénétique
(renseignements sur telle source, livresque ou non, informations
sur les conditions de rédaction, etc.) et endogénétique (« essai »
de l’œuvre à venir, brouillons ou avant-texte, comme chez
Stendhal ou chez les Goncourt à qui il arrive de verser des
documents épistolaires dans le texte romanesque).
Dans cet atelier, les correspondances sont souvent le lieu où
s’élabore de façon sauvage un Ars poetica. Elles s’apparentent
volontiers à un laboratoire poétique qui éclaire sur les enjeux
esthétiques d’un auteur. Banc d’essai de l’œuvre, la
correspondance peut dès lors devenir une forme d’écriture,
voire un genre littéraire : on pense évidemment au genre
épistolaire et à ses codes, mais plus généralement au statut
esthétique des lettres d’écrivains (font-elles partie de l’œuvre
entier ?) et au travail dont elles peuvent être l’objet (avec des
corrections ou des réélaborations comme la réécriture par
Saint-John Perse d’une partie de sa correspondance pour
les Œuvres complètes en Pléiade). Et ici encore, l’ère numérique
et l’avènement du courriel posent la question de l’évolution des
formes de correspondance (voir la correspondance électronique
entre Frederic Raphael et Joseph Epstein, Distant Intimacy:
A Friendship in the Age of the Internet, 2013).
Les correspondances fournissent enfin un incomparable
matériau linguistique et stylistique à qui veut saisir l’idiolecte
d’un écrivain. C’est là, en effet, qu’apparaissent volontiers les
mots saillants, les « maîtres-mots », ce que Jean Paulhan
appelle les mots clefs d’un auteur (« [c]es termes qu’il
affectionne, [c]es expressions qu’il charge – et qui le chargent –
d’un sens particulier[1] »). Le style épistolaire est souvent plus
proche de cette « Humeur » par quoi Barthes définissait le style
d’un écrivain, laquelle se traduit par des formes plus libres,
moins disciplinées, moins ritualisées que celles de l’œuvre.
Une étude des variations de style de la lettre à l’œuvre
offrirait un champ d’investigation permettant de mesurer
ce qui dans l’écriture revient aux emplois standardisés,
aux impératifs de genre, aux codes littéraires d’un côté,
de l’autre à l’emploi idiosyncrasique de la langue.
3. De l’intimité à la sociabilité : figures et fonctions des
destinataires
La correspondance d’écrivain est souvent abordée sous
l’angle de la biographie ou de l’autobiographie. Les lettres
peuvent en effet devenir le lieu de la confession : un auteur
s’y livre dans le secret d’un échange privé. On peut aborder
de ce point de vue la dialectique entre l’homme et l’écrivain,
l’intime et l’extime, etc.
Dans cette perspective, la question cruciale est celle du
destinataire, de sa position et de son rôle (disciple, maître,
pair, ami[e], amant[e]), selon lesquels l’ethos de l’épistolier
et les stratégies épistolaires diffèrent. Dans les
« correspondances collaboratives » par exemple, le
destinataire joue volontiers le rôle de conseil ou
d’accompagnateur (chez Flaubert, Zola ou Proust). La lettre
articule ainsi le monologique et le dialogique, selon une
ambiguïté que peuvent exploiter certains « cas » épistolaires
et littéraires : lettres ouvertes, perdues, sans réponse,
adressées à un(e) inconnu(e), à soi-même ou à personne…
La dimension de jeu n’est évidemment pas étrangère à
certaines conduites épistolaires.
L’écrivain épistolier tisse ainsi un réseau de correspondants
qui permettent d’envisager la dimension sociale de la carrière
littéraire. Les correspondances jouent de fait un rôle majeur
dans les cercles de sociabilité littéraire et artistique, et
témoignent des affinités électives ou esthétiques entre
créateurs, critiques, journalistes, etc. Elles participent à la
vie collective des mouvements, des salons, cénacles et écoles
littéraires, et forment à ce titre un document de premier ordre
pour une sociologie de la littérature et de la culture.
Le séminaire de recherche mettra l’accent sur trois enjeux
principaux :
1° Les processus de patrimonialisation et de publication
des correspondances, avec une réflexion sur les formes
nouvelles d’archivage et de diffusion.
2° Le lien entre l’épistolier et son destinataire.
3° La dimension linguistique et stylistique, qui permet de
cerner l’idiolecte de l’écrivain.
Les propositions, d'une page maximum, sont à adresser
avant le 5 septembre 2015 à Pierre-Henri Kleiber (UMR
CNRS Lexiques, Dictionnaires, Informatique) :
pierre-henri.kleiber @ u-cergy.fr
Les séances du séminaire auront lieu tous les derniers
jeudis du mois, à l'université de Cergy-Pontoise (lieu et
horaire à préciser), à partir d'octobre 2015.
Éléments de bibliographie :
ARROU-VIGNOD Jean-Philippe, Le Discours des absents,
Gallimard, 1993
ARTIÈRES Philippe, Lettres perdues : écritures, amour et
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BARTHES Roland, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, 1977
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BIRON Michel & MELANÇON Benoît (dir.), Lettres des années
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DUFIEF Pierre-Jean, Les écritures de l’intime :
la correspondance et le journal, Champion, 2000
DUFIEF Pierre-Jean, Les écritures de l’intime de 1800 à 1914.
Autobiographies, mémoires, journaux intimes et correspondances,
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