http://ledroitcriminel.free.fr/le_phenomene_criminel/crimes_et_proces_celebres/mme_roland.htm
PROCÈS DE MADAME ROLAND
DEVANT LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE
18 brumaire an II – 8 novembre 1793
(document extrait de l’ouvrage de Wallon, « Histoire du tribunal révolutionnaire »)
III - DERNIERS MOMENTS DE MME ROLAND
Riouffe et Beugnot, qui ont vu Mme Roland à la Conciergerie, et l’ont jugée dans une disposition d’esprit fort différente, ont gardé une impression également vive et forte de ses adieux à la prison. « Elle attendait à la grille, dit Beugnot, qu’on vînt l’appeler. Elle était vêtue avec une sorte de recherche; elle avait une anglaise de mousseline blanche, garnie de blonde et rattachée avec une ceinture de velours noir. Sa coiffure était soignée; elle portait un bonnet-chapeau d’une élégante simplicité, et ses beaux cheveux flottaient sur ses épaules. Sa figure me parut plus animée qu’à l’ordinaire, ses couleurs étaient ravissantes, et elle avait le sourire sur les lèvres. D’une main, elle soutenait la queue de sa robe, et elle avait abandonné l’autre à une foule de femmes qui se pressaient pour la baiser. Celles qui étaient mieux instruites du sort qui l’attendait sanglotaient autour d’elle et la recommandaient en tout cas à la Providence. Rien ne peut rendre ce tableau; il faut l’avoir vu. Mme Roland répondait à toutes avec une affectueuse bonté; elle ne leur promettait pas son retour, elle ne leur disait pas qu’elle allait à la mort, mais les dernières paroles qu’elle leur adressait étaient autant de recommandations touchantes. Elle les invitait à la paix, au courage, à l’espérance, à l’exercice des vertus qui conviennent au malheur. Un vieux geôlier, nommé Fontenay, dont le bon cœur avait résisté à trente ans d’exercice de son cruel métier, vint lui ouvrir la grille en pleurant. Je m’acquittai au passage de la commission de Glavière; elle me répondit en peu de mots et d’un ton ferme. Elle commençait une phrase, lorsque deux guichetiers de l’intérieur l’appelèrent pour le tribunal. A ce cri, terrible pour tout autre que pour elle, elle s’arrête et me dit en me serrant la main : « Adieu, monsieur, faisons la paix, il en est temps. » En levant les yeux sur moi, elle s’aperçut que je repoussais mes larmes, et que j’étais violemment ému; elle y parut sensible, mais n’ajouta que ces deux mots : Du courage !
« Après sa condamnation, ajoute Riouffe, elle repassa dans le guichet avec une vitesse qui tenait de la joie. Elle indiqua, par un signe démonstratif, qu’elle était condamnée à mort. Associée à un homme que le même sort attendait, mais dont le courage n’égalait pas le sien, elle parvint à lui en donner, avec une gaieté si douce et si vraie, qu’elle fit naître le sourire sur ses lèvres à plusieurs reprises. »
Riouffe n’avait pu rapporter que par ouï dire ce qui se passa quand elle eut franchi le seuil de la prison. Mais d’autres en parlent en témoins oculaires.
Une circonstance bien imprévue, dit Tissot dans son « Histoire de la Révolution », surtout bien indépendante de ma volonté, fit passer sous mes yeux cette femme extraordinaire près du Pont-Neuf, sur le chemin de l’échafaud. Debout et calme dans la charrette, elle était vêtue d’une étoffe blanche parsemée de bouquets de couleur rose. Aucune altération apparente en elle. Ses yeux lançaient de vifs éclairs, son teint brillait de fraîcheur et d’éclat; un sourire plein de charme errait sur ses lèvres ; cependant elle était sérieuse et ne jouait pas avec la mort. Près d’elle on voyait le malheureux Lamarche, tellement abattu par la terreur que sa tête semblait tomber à chaque cahot de la voiture. L’héroïne relevait, par son courage, la faiblesse de cet infortuné qui n’était plus un homme. Quelquefois elle poussait son pouvoir sur elle-même jusqu’à trouver des mots empreints d’une gaieté spirituelle et douce qui arrachaient un sourire à son trop faible compagnon. Je ne sais ce qui me fit illusion en ce moment, mais le cortège, le bourreau et ses valets disparurent à mes regards toute mon attention se concentra sur la victime, et, à la voir, je ne pouvais comprendre qu’elle allât à la mort.
Comme on la traînait au lieu du supplice, ajoute un autre auteur, la foule, émue de pitié ou saisie d’admiration, gardait un morne et profond silence. Cependant de loin en loin, quelques-uns de ces scélérats, gagés pour insulter au malheur, criaient : A la guillotine à la guillotine !
Avec sa douceur mêlée de fierté, la citoyenne Roland répondait : J’y vais. Elle devait être exécutée la première. Elle eut pitié de la faiblesse de son compagnon. Allez le premier, dit-elle, que je vous épargne au moins la douleur de voir couler mon sang ! Et comme le bourreau hésitait, ses instructions étant contraires : Pourriez-vous, lui dit-elle, refuser à une femme sa dernière requête ? Et l’exécuteur obéit.
C’est alors que de l’échafaud regardant cette statue en plâtre de la Liberté érigée, à l’occasion de la fête du 10 août, sur le piédestal de la royauté déchue, et demeurée là comme pour présider au supplice de ceux qui avaient cru la fonder elle-même, elle dit : 0 Liberté, que de crimes en ton nom !
PROCÈS DE MADAME ROLAND
DEVANT LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE
18 brumaire an II – 8 novembre 1793
(document extrait de l’ouvrage de Wallon, « Histoire du tribunal révolutionnaire »)
III - DERNIERS MOMENTS DE MME ROLAND
Riouffe et Beugnot, qui ont vu Mme Roland à la Conciergerie, et l’ont jugée dans une disposition d’esprit fort différente, ont gardé une impression également vive et forte de ses adieux à la prison. « Elle attendait à la grille, dit Beugnot, qu’on vînt l’appeler. Elle était vêtue avec une sorte de recherche; elle avait une anglaise de mousseline blanche, garnie de blonde et rattachée avec une ceinture de velours noir. Sa coiffure était soignée; elle portait un bonnet-chapeau d’une élégante simplicité, et ses beaux cheveux flottaient sur ses épaules. Sa figure me parut plus animée qu’à l’ordinaire, ses couleurs étaient ravissantes, et elle avait le sourire sur les lèvres. D’une main, elle soutenait la queue de sa robe, et elle avait abandonné l’autre à une foule de femmes qui se pressaient pour la baiser. Celles qui étaient mieux instruites du sort qui l’attendait sanglotaient autour d’elle et la recommandaient en tout cas à la Providence. Rien ne peut rendre ce tableau; il faut l’avoir vu. Mme Roland répondait à toutes avec une affectueuse bonté; elle ne leur promettait pas son retour, elle ne leur disait pas qu’elle allait à la mort, mais les dernières paroles qu’elle leur adressait étaient autant de recommandations touchantes. Elle les invitait à la paix, au courage, à l’espérance, à l’exercice des vertus qui conviennent au malheur. Un vieux geôlier, nommé Fontenay, dont le bon cœur avait résisté à trente ans d’exercice de son cruel métier, vint lui ouvrir la grille en pleurant. Je m’acquittai au passage de la commission de Glavière; elle me répondit en peu de mots et d’un ton ferme. Elle commençait une phrase, lorsque deux guichetiers de l’intérieur l’appelèrent pour le tribunal. A ce cri, terrible pour tout autre que pour elle, elle s’arrête et me dit en me serrant la main : « Adieu, monsieur, faisons la paix, il en est temps. » En levant les yeux sur moi, elle s’aperçut que je repoussais mes larmes, et que j’étais violemment ému; elle y parut sensible, mais n’ajouta que ces deux mots : Du courage !
« Après sa condamnation, ajoute Riouffe, elle repassa dans le guichet avec une vitesse qui tenait de la joie. Elle indiqua, par un signe démonstratif, qu’elle était condamnée à mort. Associée à un homme que le même sort attendait, mais dont le courage n’égalait pas le sien, elle parvint à lui en donner, avec une gaieté si douce et si vraie, qu’elle fit naître le sourire sur ses lèvres à plusieurs reprises. »
Riouffe n’avait pu rapporter que par ouï dire ce qui se passa quand elle eut franchi le seuil de la prison. Mais d’autres en parlent en témoins oculaires.
Une circonstance bien imprévue, dit Tissot dans son « Histoire de la Révolution », surtout bien indépendante de ma volonté, fit passer sous mes yeux cette femme extraordinaire près du Pont-Neuf, sur le chemin de l’échafaud. Debout et calme dans la charrette, elle était vêtue d’une étoffe blanche parsemée de bouquets de couleur rose. Aucune altération apparente en elle. Ses yeux lançaient de vifs éclairs, son teint brillait de fraîcheur et d’éclat; un sourire plein de charme errait sur ses lèvres ; cependant elle était sérieuse et ne jouait pas avec la mort. Près d’elle on voyait le malheureux Lamarche, tellement abattu par la terreur que sa tête semblait tomber à chaque cahot de la voiture. L’héroïne relevait, par son courage, la faiblesse de cet infortuné qui n’était plus un homme. Quelquefois elle poussait son pouvoir sur elle-même jusqu’à trouver des mots empreints d’une gaieté spirituelle et douce qui arrachaient un sourire à son trop faible compagnon. Je ne sais ce qui me fit illusion en ce moment, mais le cortège, le bourreau et ses valets disparurent à mes regards toute mon attention se concentra sur la victime, et, à la voir, je ne pouvais comprendre qu’elle allât à la mort.
Comme on la traînait au lieu du supplice, ajoute un autre auteur, la foule, émue de pitié ou saisie d’admiration, gardait un morne et profond silence. Cependant de loin en loin, quelques-uns de ces scélérats, gagés pour insulter au malheur, criaient : A la guillotine à la guillotine !
Avec sa douceur mêlée de fierté, la citoyenne Roland répondait : J’y vais. Elle devait être exécutée la première. Elle eut pitié de la faiblesse de son compagnon. Allez le premier, dit-elle, que je vous épargne au moins la douleur de voir couler mon sang ! Et comme le bourreau hésitait, ses instructions étant contraires : Pourriez-vous, lui dit-elle, refuser à une femme sa dernière requête ? Et l’exécuteur obéit.
C’est alors que de l’échafaud regardant cette statue en plâtre de la Liberté érigée, à l’occasion de la fête du 10 août, sur le piédestal de la royauté déchue, et demeurée là comme pour présider au supplice de ceux qui avaient cru la fonder elle-même, elle dit : 0 Liberté, que de crimes en ton nom !