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http://newsbook.fr/virginia-woolf-en-pleiade/
Virginia Woolf en Pléiade
Parution aujourd’hui, 22 mars 2012, en deux tomes de l’oeuvre romanesque de Virginia Woolf en Pléiade.
Présentation de l’ouvrage :
Cette édition propose, dans des traductions pour la plupart nouvelles, tous les livres de fiction publiés par Woolf ou, pour Entre les actes, au lendemain de sa mort : dix romans, et un recueil de nouvelles, Lundi ou mardi, qui n’avait jamais été traduit dans notre langue en l’état. S’y ajoutent les nouvelles publiées par l’auteur mais jamais rassemblées par elle, ainsi qu’un large choix de nouvelles demeurées inédites de son vivant. Les nouvelles éparses qui présentent un lien génétique ou thématique avec un roman sont réunies dans une section Autour placée à la suite de ce roman. On trouvera ainsi, Autour de «Mrs. Dalloway», un ensemble de textes dans lequel Woolf voyait «un couloir menant de Mrs. Dalloway à un nouveau livre» ; ce «nouveau livre» sera un nouveau chef-d’oeuvre, Vers le Phare.
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Romans et nouvelles, donc, mais ces termes ne s’emploient ici que par convention. Woolf en avait conscience : «Je crois bien que je vais inventer un nouveau nom pour mes livres, pour remplacer « roman ». Un nouveau… de Virginia Woolf. Mais quoi ? Élégie ?» L’élégie, qui a partie liée avec la mort, est une forme poétique, et le roman, chez Woolf, emprunte en effet à la poésie («Il aura une part de l’exaltation de la poésie»), aussi bien qu’?à l?essai et au théâtre («Il sera dramatique»), jusqu’à un certain point («mais ce ne sera pas du théâtre»). Play-poem, «poème dramatique», qualifiera Les Vagues ; essay-novel, «roman-essai», désigne Les Années ; Flushet Orlando partagent la même indication de genre: a Biography, ce qui ne dit à peu près rien de ces deux livres, mais confirme qu’il faut ici renoncer aux catégories reçues et, plus largement, considérer d’un oeil neuf tout ce qui semblait définir le romanesque: «Le récit peut-être vacillera ; l’intrigue peut-être s’écroulera; les personnages peut-être s’effondreront. Il sera peut-être nécessaire d’élargir l’idée que nous nous faisons du roman.»
Élargir : rompre avec la continuité chronologique, en finir avec l’hégémonie de la représentation, faire du vécu subjectif de la conscience la véritable matière du roman. Woolf le reconnaissait, elle n’avait pas le don de la réalité: «J’immatérialise le propos ?» Il s’agissait moins pour elle de bâtir des intrigues que d’isoler des «moments d’être», déchirures éclairantes dans l’obscur tissu d?une existence, témoignant «qu’une chose réelle existe derrière les apparences». «Je rends [cette chose] réelle en la mettant dans des mots. Ce sont mes mots et eux seuls qui lui donnent son intégrité; et cette intégrité signifie qu’elle a perdu le pouvoir de me faire souffrir.»
Telle est la puissance de l’écriture. En consacrant ses forces à donner réalité à ce qui existe derrière, Virginia Woolf a tenu à distance la peur, la souffrance, la folie ; elle s’est maintenue hors de la zone dangereuse, jusqu’au jour de mars 1941 où, ayant achevé Entre les actes, elle s’est sentie incapable de lutter plus longtemps.
Environ 1500 pages chaque tome – 67.50 € – existe en coffret
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http://www.magazine-litteraire.com/content/homepage/article?id=21412
Virginia Woolf : étrangère à elle-même 29/03/2012 | Dossier
À l’occasion de la sortie en Pléiade de l’œuvre romanesque de Virginia Woolf, Le Magazine Littéraire consacre son dossier à cette grande figure de la littérature britannique du XXe siècle. En kiosque le 29 mars.
« Accompagner, jusque dans ses crises, une aventure exceptionnelle ». Tels sont les mots de Jacques Aubert, interrogé par Le Magazine Littéraire sur le parti pris et la couleur de son édition en Pléiade des œuvres romanesques de Virginia Woolf, tout juste parue. Suivant le fil de ses dix romans et d’une constellation de nouvelles souvent inédites de son vivant, c’est moins un hommage qu’un itinéraire d’écrivain que tracent en pointillé ces deux volumes de fiction. Qui s’étonnera que l’entrée de Virginia Woolf dans le domaine public, soixante-dix ans exactement après sa mort tragique, soit couronnée en France par la publication de ses écrits apparemment les moins intimes ? Qu’on se le dise : plus que jamais, chez elle, le soi ne fait sens que s’il est raconté. Plus que jamais, la compréhension et l’assomption de l’identité trouvent dans le récit (étrange ou étranger) une médiation privilégiée. Plus que jamais – par la mise en fiction de ses fameux instants ou « moments d’être » – la littérature se fait modèle d’intelligibilité de la vie.
C’est ainsi qu’on ouvrira ce dossier par un conte poétique aux allures de tragédie, glissant peu à peu dans les méandres d’une vie de papier. Woolf lectrice, éditrice, écrivaine envers et contre tout – sans jamais cesser pour autant de dialoguer avec son temps, de le mettre en danger. Loin de confiner l’auteur de Trois guinées à ses œuvres romanesques, il fallait passer par l’analyse de ses essais, en particulier sur le genre, pour poser les jalons de sa « prose dissidente ». Et si le reproche lui est souvent fait d’être aveugle à son époque, c’est justement sa contemporanéité que la recherche universitaire s’efforce aujourd’hui de souligner. Comment penser la modernité de Woolf sinon dans sa constante tension avec les formes, les idées et les discours dominants auxquels elle n’a cessé de se frotter ? C’est ainsi que se dessinent le rêve et la conquête d’un espace d’écriture ou d’une « chambre à soi » : au gré d’insolentes réappropriations, de curieuses associations et d’expérimentations rebelles qui ouvrent soudain le champ des possibles littéraires, sociétaux, politiques…
Étrangère à elle-même, l’auteur des Années l’est autant par les mythes qu’on a construits autour de son destin que par l’émotion et l’appropriation que son œuvre suscite et dont le paysage culturel contemporain témoigne encore. Où diable aller chercher la clé d’une telle résonance sinon, là encore, dans son projet visionnaire « d’élargir l’idée que nous nous faisons du roman ». En étudiant précisément la plasticité de ses romans – en particulier l’entremêlement des arts que sont la littérature et la peinture, la photographie ou même le cinéma –, ne voit-on pas se dessiner comme une brèche ouverte sur un au-delà du texte ? Et plus encore que de l’instant, son écriture n’est-elle pas alors celle d’un constant renouvellement, d’une tension vers l’ailleurs, d’un « devenir autre » ? Autant de pistes pour interroger sa redoutable pérennité, son éternelle actualité, et pour comprendre ce qui poussa Mrs Dalloway, un beau matin, à sortir elle-même pour acheter des fleurs…
Augustin Trapenard