http://www.liberation.fr/culture/0101304699-hugo-es-tula より
Hugo es-tu la?
GRAND ANGLE
Adepte du spiritisme, le poete en exil a Jersey s’est cru prophete d’une nouvelle religion. Une biographie devoile cet etrange episode de sa vie.
EDOUARD LAUNET
Le 22 octobre 1854, Victor Hugo demande a la «table parlante» : «Que va-t-il y avoir dans mon tombeau, un prophete ou un poete ?» L’auteur de Notre-Dame-de-Paris est en exil sur l’ile de Jersey depuis deux ans. Il s’adonne au spiritisme avec sa famille et quelques proches depuis plusieurs mois. Il a acquis la conviction que les esprits s’exprimant par l’intermediaire de la table sont en train de lui dicter la Bible d’une religion nouvelle «qui englobera le christianisme, en l’elargissant, comme le christianisme avait englobe le paganisme». Le poete pense etre devenu prophete, mais, ce dimanche 22 octobre, il laisse aux spectres le soin de trancher la question.
Folle prolixite
Le grand Hugo est-il subitement devenu fou a 52 ans ? L’air vif de l’archipel anglo-normand a-t-il favorise chez lui un delire theologique ? Un ouvrage de Jean-Marc Hovasse, chercheur au CNRS et biographe du grand homme, vient jeter une lumiere nouvelle sur cet etrange episode jersiais, ainsi que sur le long et fascinant sejour de l’ecrivain dans les îles de la Manche (1). Car l’exil de Victor Hugo (de fin 1851 a 1870, a Bruxelles, puis Jersey, puis Guernesey) fut un moment extraordinaire de la litterature et, au-dela, de l’histoire francaise. Il a fait d’un grand auteur un genie d’une folle prolixite : poemes, romans, dessins, discours, lettres, meubles. Et même evangiles ?
Jean-Marc Hovasse fournit, en 1 285 pages tres denses, tous les éléments du dossier. Son recit, deuxieme tome d’une biographie dont la publication a commence en 2001 et se poursuivra peut-etre jusqu’en 2015, est a ce jour le plus complet que l’on ait donné de cet exil. Jamais n’est apparue aussi nettement l’image d’un Hugo au bord de l’infini, tutoyant les dieux et les geants de la litterature (Dante, Shakespeare, Chateaubriand, etc.), redigeant des œuvres visionnaires comme les Chatiments et les Contemplations, narguant depuis son rocher l’empereur Napoleon III, auteur honni d’un coup d’Etat, qui a oblige Hugo, le representant du peuple, a quitter son pays et a lutter de loin pour le retour de la Republique. Le rebelle ne doute pas de sa force ni de son destin. Le 21 decembre 1854, il note : «L’Ocean est sous ma fenetre. Je regarde cet indomptable, et je lui dis : "Joutons !"»
Poète et republicain, Hugo veut marier le spirituel et le politique, souligne Jean-Marc Hovasse. L’exile cherche a se construire une philosophie englobant la justice sociale et le sublime. Il venere un Dieu qui n’est pas celui des Eglises et encore moins des bénitiers, mais qui repond a une construction toute hugolienne : «Dans sa philosophie religieuse se melent, à un peu de christianisme, du saint-simonisme, du fouriérisme, du magnetisme, du socialisme, sans parler de la théosophie et de la kabbale», résumait, en 2003, l’universitaire Robert Kopp. Devant ces chantiers cosmogoniques et cette soif de transcendantal, les autres proscrits refugies à Jersey restent pour le moins dubitatifs. Est-ce Dieu que Hugo invoque à tout bout de champ ? La revolution doit-elle s’encombrer de telles vieilleries ? C’est alors que le spiritisme va venir au secours du spirituel. En septembre 1853, debarque a Jersey Delphine de Girardin, amie de Hugo, ancienne muse de la Patrie. Elle apporte avec elle la mode des «tables parlantes», qui a deferle sur l’Europe apres avoir eclos en Amerique. Paris et Londres font parler les gueridons, alors pourquoi pas Jersey ? Helas, a Marine-Terrace, la maison qu’habitent Hugo et son «goum», c’est-a-dire la famille et des amis proches, la table reste resolument coite.
Hugo es-tu la?
GRAND ANGLE
Adepte du spiritisme, le poete en exil a Jersey s’est cru prophete d’une nouvelle religion. Une biographie devoile cet etrange episode de sa vie.
EDOUARD LAUNET
Le 22 octobre 1854, Victor Hugo demande a la «table parlante» : «Que va-t-il y avoir dans mon tombeau, un prophete ou un poete ?» L’auteur de Notre-Dame-de-Paris est en exil sur l’ile de Jersey depuis deux ans. Il s’adonne au spiritisme avec sa famille et quelques proches depuis plusieurs mois. Il a acquis la conviction que les esprits s’exprimant par l’intermediaire de la table sont en train de lui dicter la Bible d’une religion nouvelle «qui englobera le christianisme, en l’elargissant, comme le christianisme avait englobe le paganisme». Le poete pense etre devenu prophete, mais, ce dimanche 22 octobre, il laisse aux spectres le soin de trancher la question.
Folle prolixite
Le grand Hugo est-il subitement devenu fou a 52 ans ? L’air vif de l’archipel anglo-normand a-t-il favorise chez lui un delire theologique ? Un ouvrage de Jean-Marc Hovasse, chercheur au CNRS et biographe du grand homme, vient jeter une lumiere nouvelle sur cet etrange episode jersiais, ainsi que sur le long et fascinant sejour de l’ecrivain dans les îles de la Manche (1). Car l’exil de Victor Hugo (de fin 1851 a 1870, a Bruxelles, puis Jersey, puis Guernesey) fut un moment extraordinaire de la litterature et, au-dela, de l’histoire francaise. Il a fait d’un grand auteur un genie d’une folle prolixite : poemes, romans, dessins, discours, lettres, meubles. Et même evangiles ?
Jean-Marc Hovasse fournit, en 1 285 pages tres denses, tous les éléments du dossier. Son recit, deuxieme tome d’une biographie dont la publication a commence en 2001 et se poursuivra peut-etre jusqu’en 2015, est a ce jour le plus complet que l’on ait donné de cet exil. Jamais n’est apparue aussi nettement l’image d’un Hugo au bord de l’infini, tutoyant les dieux et les geants de la litterature (Dante, Shakespeare, Chateaubriand, etc.), redigeant des œuvres visionnaires comme les Chatiments et les Contemplations, narguant depuis son rocher l’empereur Napoleon III, auteur honni d’un coup d’Etat, qui a oblige Hugo, le representant du peuple, a quitter son pays et a lutter de loin pour le retour de la Republique. Le rebelle ne doute pas de sa force ni de son destin. Le 21 decembre 1854, il note : «L’Ocean est sous ma fenetre. Je regarde cet indomptable, et je lui dis : "Joutons !"»
Poète et republicain, Hugo veut marier le spirituel et le politique, souligne Jean-Marc Hovasse. L’exile cherche a se construire une philosophie englobant la justice sociale et le sublime. Il venere un Dieu qui n’est pas celui des Eglises et encore moins des bénitiers, mais qui repond a une construction toute hugolienne : «Dans sa philosophie religieuse se melent, à un peu de christianisme, du saint-simonisme, du fouriérisme, du magnetisme, du socialisme, sans parler de la théosophie et de la kabbale», résumait, en 2003, l’universitaire Robert Kopp. Devant ces chantiers cosmogoniques et cette soif de transcendantal, les autres proscrits refugies à Jersey restent pour le moins dubitatifs. Est-ce Dieu que Hugo invoque à tout bout de champ ? La revolution doit-elle s’encombrer de telles vieilleries ? C’est alors que le spiritisme va venir au secours du spirituel. En septembre 1853, debarque a Jersey Delphine de Girardin, amie de Hugo, ancienne muse de la Patrie. Elle apporte avec elle la mode des «tables parlantes», qui a deferle sur l’Europe apres avoir eclos en Amerique. Paris et Londres font parler les gueridons, alors pourquoi pas Jersey ? Helas, a Marine-Terrace, la maison qu’habitent Hugo et son «goum», c’est-a-dire la famille et des amis proches, la table reste resolument coite.