西尾治子 のブログ Blog Haruko Nishio:ジョルジュ・サンド George Sand

日本G・サンド研究会・仏文学/女性文学/ジェンダー研究
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L’ORGUE DU TITAN(3)

2011年04月06日 | 授業・講義・その他
Je m'éveillai en le sentant s'arrêter brusquement et il me sembla que mon ivresse était tout à fait dissipée, car je me rendis fort vite compte de la situation. Maître Jean n'avait pas dormi, ou bien il s'était malheureusement réveillé à temps pour contrarier l'instinct de sa monture. Il l'avait engagée dans un faux chemin. Le docile Bibi avait obéi sans résistance ; mais voilà qu'il sentait le terrain manquer devant lui et qu'il se rejetait en arrière pour ne pas se précipiter avec nous dans l'abîme.

Je fus vite sur mes pieds, et je vis au-dessus de nous, à droite, la roche Sanadoire toute bleue au reflet de la lune, avec son jeu d'orgues contourné et sa couronne dentelée. Sa soeur jumelle, la roche Tuilière, était à gauche, de l'autre côté du ravin, l'abîme entre deux ; et nous, au lieu de suivre le chemin d'en haut, nous avions pris le sentier à mi-côte.
- Descendez, descendez, criai-je au professeur de musique. Vous ne pouvez point passer là ! c'est un sentier pour les chèvres.
- Allons donc, poltron, répondit-il d'une voix forte, Bibi n'est point une chèvre ?
- Non, non, maître, c'est un cheval ; ne rêvez pas ! Il ne peut pas et il ne veut pas !

Et, d'un violent effort, je retirai Bibi du danger, mais non sans l'abattre un peu sur ses jarrets, ce qui força le maître à descendre plus vite qu'il n'eût voulu.

Ceci le mit dans une grande colère, bien qu'il n'eût aucun mal, et, sans tenir compte de l'endroit dangereux où nous nous trouvions, il chercha sa cravache pour m'administrer une de ces corrections qui n'étaient pas toujours anodines. J'avais tout mon sang-froid. Je ramassai la cravache avant lui, et, sans respect pour la pomme d'argent, je la jetai dans le ravin.

Heureusement pour moi, maître Jean ne s'en aperçut pas. Ses idées se succédèrent trop rapidement.
- Ah ! Bibi ne veut pas ! disait-il, et Bibi ne peut pas ! Bibi n'est pas une chèvre ! Eh bien, moi, je suis une gazelle !

Et, en parlant ainsi, il se prit à courir devant lui, se dirigeant vers le précipice.

Malgré l'aversion qu'il m'inspirait dans ses accès de colère, je fus épouvanté et m'élançai sur ses traces. Mais, au bout d'un instant, je me tranquillisai. Il n'y avait point là de gazelle. Rien ne ressemblait moins à ce gracieux quadrupède que le professeur à ailes de pigeon dont la queue, ficelée d'un ruban noir, sautait d'une épaule à l'autre avec une rapidité convulsive lorsqu'il était ému. Son habit à longues basques, ses culottes de nankin et ses bottes molles le faisaient plutôt ressembler à un oiseau de nuit.

Je le vis bientôt s'agiter au-dessus de moi ; il avait quitté le sentier à pic, il lui restait assez de raison pour ne pas songer à descendre ; il remontait en gesticulant vers la roche Sanadoire, et bien que le talus fût rapide, il n'était pas dangereux.

Je pris Bibi par la bride et l'aidai à virer de bord, ce qui n'était pas facile. Puis je remontai avec lui le sentier pour regagner la route ; je comptais y retrouver maître Jean, qui avait pris cette direction.

Je ne l'y trouvai pas, et, laissant le fidèle Bibi sur sa bonne foi, je redescendis à pied, en droite ligne, jusqu'à la roche Sanadoire. La lune éclairait vivement. J'y voyais comme en plein jour. Je ne fus donc pas longtemps sans découvrir maître Jean assis sur un débris, les jambes pendantes et reprenant haleine.
- Ah ! ah ! c'est toi, petit malheureux ! me dit-il. Qu'as-tu fait de mon pauvre cheval ?
- Il est là, maître, il vous attend, répondis-je.
- Quoi ! tu l'as sauvé ? Fort bien, mon garçon ! Mais comment as-tu fait pour te sauver toi-même ? Quelle effroyable chute, hein ?
- Mais, monsieur le professeur, nous n'avons pas fait de chute !
- Pas de chute ? L'idiot ne s'en est pas aperçu ! Ce que c'est que le vin !... O vin ! vin de Chanturgue, vin de Chante-orgue... beau petit vin musical ! j'en boirais bien encore un verre ! Apporte, petit ! Viens ça, doux sacristain ! Frère, à ta santé ! A la santé des titans ! A la santé du diable !

J'étais un bon croyant. Les paroles du maître me firent frémir.

- Ne dites pas cela, maître, m'écriai-je. Revenez à vous, voyez où vous êtes !
- Où je suis ? reprit-il en promenant autour de lui ses yeux agrandis, d'où jaillissaient les éclairs du délire ; où je suis ? où dis-tu que je suis ? Au fond du torrent ? Je ne vois pas le moindre poisson !
- Vous êtes au pied de cette grande roche Sanadoire qui surplombe de tous les côtés. Il pleut des pierres ici, voyez, la terre en est couverte. N'y restons pas, maître. C'est un vilain endroit.
- Roche Sanadoire ! reprit le maître en cherchant à soulever sur son front son chapeau qu'il avait sous le bras. Roche Sonatoire, oui, c'est là ton vrai nom, je te salue entre toutes les roches ! Tu es le plus beau jeu d'orgues de la création. Tes tuyaux contournés doivent rendre des sons étranges, et la main d'un titan peut seule te faire chanter ! Mais ne suis-je pas un titan, moi ? Oui, j'en suis un, et, si un autre géant me dispute le droit de faire ici de la musique, qu'il se montre !... Ah ! ah ! oui-da ! Ma cravache, petit ? où est ma cravache ?
- Quoi donc, maître ? lui répondis-je épouvanté, qu'en voulez-vous faire ? est-ce que vous voyez ?...
- Oui, je vois, je le vois, le brigand ! le monstre ! ne le vois-tu pas aussi ?
- Non, où donc ?
- Eh parbleu ! là-haut, assis sur la dernière pointe de la fameuse roche Sonatoire, comme tu dis !

Je ne disais rien et ne voyais rien qu'une grosse pierre jaunâtre rongée par une mousse desséchée. Mais l'hallucination est contagieuse et celle du professeur me gagna d'autant mieux que j'avais peur de voir ce qu'il voyait.
- Oui, oui, lui dis-je, au bout d'un instant d'angoisse inexprimable, je le vois, il ne bouge pas, il dort ! Allons-nous-en ! Attendez ! Non, non, ne bougeons pas et taisons-nous, je le vois à présent qui remue !
- Mais je veux qu'il me voie ! Je veux surtout qu'il m'entende ! s'écria le professeur en se levant avec enthousiasme. Il a beau être là, perché sur son orgue, je prétends lui enseigner la musique, à ce barbare ! - Oui, attends, brute ! Je vais te régaler d'un Introït de ma façon. - A moi petit ! où es-tu ? vite au soufflet ! Dépêche !
- Le soufflet ? Quel soufflet ? Je ne vois pas...
- Tu ne vois rien ! là, là, te dis-je !

Et il me montrait une grosse tige d'arbrisseau qui sortait de la roche un peu au-dessous des tuyaux, c'est-à-dire des prismes du basalte. On sait que ces colonnettes de pierre sont souvent fendues et comme craquelées de distance en distance, et qu'elles se détachent avec une grande facilité si elles reposent sur une base friable qui vienne à leur manquer.

Les flancs de la roche Sanadoire étaient revêtus de gazon et de plantes qu'il n'était pas prudent d'ébranler. Mais ce danger réel ne me préoccupait nullement, j'étais tout entier au péril imaginaire d'éveiller et d'irriter le titan. Je refusai net d'obéir. Le maître s'emporta, et, me prenant au collet avec une force vraiment surhumaine, il me plaça devant une pierre naturellement taillée en tablette qu'il lui plaisait d'appeler le clavier de l'orgue.
- Joue mon Introït, me cria-t-il aux oreilles, joue-le, tu le sais ! Moi, je vais souffler, puisque tu n'en as pas le courage !
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