La matière-émotion
Par Michel Collot
Année : 1997
Pages : 352
Collection : Écriture
Éditeur : Presses Universitaires de France
ISBN : 9782130486503
ISBN version en ligne : 9782130637264
Présentation
L’émotion n’est pas un état purement intérieur, mais un mouvement de l’âme et du corps qui fait sortir de soi le sujet qui l’éprouve. Elle pousse à écrire, car elle ne peut s’exprimer qu’en s’incarnant dans la chair du monde et des mots : un aphorisme de René Char fait du poème une « matière-émotion ». En traçant un trait d’union fulgurant entre le plus « objectif » et le plus « subjectif », cette formule nous invite à nous affranchir d’une pensée dualiste et à dépasser les clivages qui figent encore trop souvent le débat contemporain sur la poésie, opposant les tenants d’un « nouveau lyrisme » à ceux de l’« objectivisme », du « littéralisme » ou du « matérialisme ». Michel Collot tente ici d’échapper à cette fausse alternative, en montrant comment dans l’alchimie du verbe entrent en fusion et en interaction le moi, le monde et les mots. Il interroge notamment les œuvres de Reverdy, Supervielle, Michaux, Ponge, Senghor, Dupin, Gaspar et Bernard Noël, à la lumière de la poétique, de la thématique, de la psychanalyse et de la génétique. L’étude des manuscrits complète celle des textes : elle permet de surprendre l’inscription de l’émotion dans la matière même de l’encre et du papier, et dans le geste de l’écriture.
Premières lignes
Ce travail s’inscrit dans le prolongement et en complément d’un précédent ouvrage, paru en 1989 dans la même collection, sur La poésie moderne et la structure d’horizon. Il s’agissait alors de montrer qu’à l’encontre d’une théorie d’inspiration structuraliste, qui valorisait la clôture du texte, et définissait la fonction poétique comme autoréférence du message linguistique à lui-même, les poètes modernes...
L’émotion a mauvaise réputation. Collective, elle se prête à toutes sortes de débordements et de manipulations, au profit parfois des idéologies les plus dangereuses. Individuelle, elle implique une perte de maîtrise, une aliénation de soi et de l’autre. Nuisible politiquement et moralement, elle est désastreuse en poésie. L’expression sans retenue des émotions, croyant atteindre la singularité et...
La redéfinition moderne du sujet lyrique s’est accompagnée d’une réévaluation de la matière et du matériau verbal, en opposition à l’idéalisme d’une tradition poétique qui valorisait la recherche du sens, voire de l’essence, et mettait le langage au service de la représentation et/ou de l’expression. Aux yeux de Hegel, la supériorité de la poésie tenait précisément à son affranchissement de toute la...
Qu’est-ce qu’une figue ? A cette grave question, Ponge répond sans ambages : « Une figue, c’est évidemment un objet que nous distinguons dans le monde extérieur - et c’est un mot ». Or ce mot ne désigne pas une chose en soi, mais un « objet qui provoque une sensation, des sensations qui, chez une personne sensible, sont relativement variées et assez éprouvantes, et en même temps assez ravissantes »....
On a trop tendance à assimiler l’œuvre de Reverdy à des mouvements dont il a accompagné, voire stimulé, l’essor, mais à l’écart desquels il s’est délibérément tenu : le Cubisme et le Surréalisme. La définition qu’il proposait, dès 1918, de l’image poétique (« Elle ne peut naître d’une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées ») a certes été reprise par André Breton...
En important dans notre langue l’héritage de civilisations fondamentalement orales, les poètes francophones d’outre-mer ont conforté et enrichi toute une tendance de la poésie française contemporaine, qui visait à inscrire dans notre culture écrite l’empreinte de la voix. Je me borne à rappeler les réflexions de Valéry sur ce sujet et le livre de Spire, Plaisir poétique et plaisir musculaire, qui avance,...
L’attention prêtée par les poètes modernes à la matérialité de l’écriture doit beaucoup à l’exemple des arts plastiques. Peintres et sculpteurs ont été pour Jacques Dupin comme pour Francis Ponge des « alliés substantiels » dans la tentative, qui leur est commune, pour investir la matière des mots et réincarner la poésie. Dans le geste pictural ils célèbrent « l’alliance » du corps et de l’esprit,...
Mon enfance a été sillonnée de chansons. La voix chantante a labouré le champ de mon corps et de mon esprit, y faisant germer toute une gerbe d’émotions, enfouies si profondément qu’aujourd’hui encore il me suffit de replacer ma voix dans tel ou tel de ces sillons anciennement creusés, pour reparcourir de nouveau d’un bout à l’autre non seulement la chanson qui revient, mais d’autres encore, et à travers...
Un des points communs aux différentes forces issues du moi, du monde ou des mots, qui convergent pour produire la matière-émotion du poème, c’est l’intensité. Celle-ci affecte en effet à la fois les énergies qui trament l’univers, celles qui traversent le sujet et celles qui travaillent l’écriture. Et dans chacun de ces champs, elle me semble procéder d’une tension, qui est source de dynamisme et de...
Plusieurs chapitres de cet ouvrage présentent une version remaniée d’articles parus précédemment dans des revues ou des ouvrages collectifs, dont on trouvera ci-dessous les références. Je remercie les responsables de ces publications d’avoir accueilli ces textes et de m’autoriser à les reprendre ici de manière à les refondre dans un nouvel ensemble.
Sommaire
Pages de début
Avant-propos
De l'expérience émotionnelle à l'émotion poétique
Le sujet lyrique hors de soi
L'entrée en matière
Alchimie de la genèse
Écriture et réparation
Exorcisme et répétition (Michaux)
La figue refigurée (Ponge)
Le « lyrisme de la réalité »
Le cosmos et la voix (Senghor)
La musique du chaos
Voir et dire
La syntaxe nominale
Rythme et mètre
La mémoire en chantant (Leclerc, Brassens)
Poésie et intensité
Note bibliographique
Pages de fin