Lumière… et ombres dans le livre-entretien de Benoît XVI par l’abbé Gaudron
L’abbé Matthias Gaudron, de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, a été ordonné prêtre par Mgr Tissier de Mallerais en 1990. Il a dirigé durant douze ans le Séminaire international du Sacré-Cœur à Zaitzkofen (Bavière). Il est actuellement en poste au prieuré Saint-Pierre de Berlin. Auteur du Catéchisme catholique de la crise dans l’Eglise (éd. du Sel), il est consulteur auprès de la commission de la Fraternité Saint-Pie X chargée des discussions doctrinales avec le Saint-Siège. Nous publions ici la recension qu’il a faite de l’ouvrage de Benoît XVI, dès sa publication en Allemagne, mise en ligne le samedi 27 novembre sur le site du district d’Allemagne.
Une fois de plus parmi les faits et gestes du Pape, des déclarations isolées, pas même centrales, sont montées en épingle et menacent de faire oublier tout le reste. Tout comme ses propos critiques envers l’islam – lors du discours de Ratisbonne – et ses paroles sur le préservatif – lors du voyage en Afrique – furent retransmis d’une manière déformée et souvent bien peu fidèle à la vérité, c’est sur le même ton que la presse mondiale claironnait ces jours derniers, que le Pape avait enfin permis le préservatif, et qu’elle solennisait cet événement comme un revirement historique dans l’univers de la morale catholique.
Le Pape a-t-il permis l’utilisation du préservatif ?
Dans les faits, le Pape a simplement dit que l’on pouvait voir dans l’utilisation du préservatif par un prostitué avec l’intention d’empêcher la transmission du sida, un premier pas vers sa propre moralisation et responsabilisation. On pourrait dire dans le même sens, que la décision prise par un voleur meurtrier, de restreindre dans le futur ses activités au larcin, afin de ne plus attenter à la vie du prochain, pourrait être regardée subjectivement comme un premier pas vers sa moralisation. En conclure que le larcin deviendrait pour autant moralement défendable, est tout aussi déloyal que les assertions de certains évêques et théologiens, selon lesquelles Benoît XVI aurait enfin ouvert la porte aux moyens de contraception.
Il faut cependant remarquer que la référence du Pape à « des cas particuliers » fournit un certain fondement à ces interprétations. Il aurait dû, en effet, profiter de la question de Peter Seewald qui lui demandait si l’Eglise n’est pas « par principe contre l’utilisation du préservatif » pour lever tout doute. Mais il répond simplement, que l’Eglise ne considère pas le préservatif comme « une solution véritable et morale », quoique dans « l’un ou l’autre cas » cependant, il pourrait « constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement, une sexualité plus humaine. » (p.161) [1] Pour parler poliment, c’est faible. Que la sexualité ne puisse être vécue d’une manière conforme à la volonté de Dieu et digne de la nature humaine que dans le mariage uniquement, et qu’ici le préservatif ou tout autre moyen de contraception artificiel soit à rejeter moralement, cela n’est bien entendu pas nié par le Pape, mais cela n’est pas non plus affirmé clairement, ce qui pourtant serait bien nécessaire aujourd’hui. De ce fait, et en raison de sa volonté d’aller le plus possible à la rencontre du monde laïcisé et de ne blesser personne, il partage avec les media une certaine responsabilité dans la confusion et la déception que les informations de ces derniers jours ont provoquées parmi les catholiques fidèles.
Il faut également noter, dans l’affirmation selon laquelle l’Eglise catholique approuverait la régulation naturelle de la fécondité (p.194) une certaine atténuation de la morale catholique. Il est certes moralement défendable qu’un couple utilise les périodes non fertiles du cycle féminin pour espacer un peu les naissances ou même pour en limiter le nombre, mais dans le cas seulement où un accroissement de la famille, pour des raisons de santé, des raisons économiques ou autres raisons similaires et graves ne serait pas moralement responsable.[2] L’affirmation du Pape peut laisser l’impression que les époux seraient autorisés à utiliser la régulation naturelle là où d’autres personnes recourent aux moyens de contraception artificiels, c’est-à-dire dans le but de n’avoir aucun ou tout au plus qu’un nombre restreint d’enfants. Or cela ne correspond pas du tout à la morale catholique, étant donné que la procréation est le but principal du mariage. (...)
La crise de l’Eglise
La crise de l’Eglise, surtout en ce qui concerne l’Europe et l’Amérique du nord, est souvent évoquée. En raison de l’origine du Pape (et de Peter Seewald) la situation particulière de l’Allemagne fait l’objet d’une attention spéciale. Benoît XVI est conscient « qu’il existe dans l’Allemagne catholique un nombre considérable de personnes attendant, en quelque sorte, le moment où elles pourront s’en prendre au pape » (p. 169). Il ne peut pas s’expliquer pourquoi en Allemagne, où chaque enfant suit entre neuf et treize ans d’instruction religieuse, « cela laisse aussi peu de traces » (p. 186). Voilà bien un euphémisme ! Le Pape ne peut pas ignorer que les livres officiels de l’enseignement catholique transmettent tout autre chose que la foi catholique, et que la plupart des professeurs de religion, malgré la mission canonique donnée par l’évêque, ne sont pas aptes à transmettre la foi. Par conséquent, son exhortation aux évêques « de réfléchir sérieusement à la manière dont on peut donner à la catéchèse un nouveau cœur » doit probablement être comprise comme une critique implicite.
Pour conclure
Dans ce nouveau livre, Benoît XVI reste fidèle à sa ligne. Il demeure ce Pape enseignant et pacifique, qui s’efforce de tout comprendre, d’éviter les extrêmes et de concilier dans l’Eglise les raisonnements modernes avec la Tradition. C’est en ce sens qu’il se qualifiait lui-même dès 1985, dans son livre-entretien Entretien sur la Foi avec Vittorio Messori : « J’ai toujours voulu rester fidèle à Vatican II, cet aujourd’hui de l’Eglise », sans « échappées solitaires en avant », mais également sans anachronique « nostalgie pour un hier irrémédiablement passé » (p. 17 de l’édition française, Fayard, 1985).
Ce livre pourra bien déciller les yeux de tous ceux qui ne connaissent pas grand chose ou même rien du tout de l’Eglise catholique, sur les déformations et les erreurs propagées par la presse. Dans ses introductions aux différentes questions, Peter Seewald rétablit plusieurs fois les faits, ce qui donne une image bien différente de celles répandues dans le public. Peut-être ne peut-on rien attendre de plus actuellement. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X est cependant d’avis que l’Eglise ne pourra pas connaître de renouveau, sans une condamnation claire des développements faux survenus depuis Vatican II et sans un rattachement à sa Tradition pérenne.
(Traduction DICI)
[1] Les citations sont extraites de l’édition française : Lumière du monde, Bayard, novembre 2010.
[2] Pie XII, dans son Allocution aux sages-femmes, en 1951, s’était exprimé clairement sur le sujet. N. du T.